Baisse du cours du pétrole : comment la Russie tente de résister à l’Arabie saoudite au sein de l’Opep


Atlantico : Le cours du pétrole est à son plus bas niveau depuis un an et menace de poursuivre sa baisse avec la crise du coronavirus en Chine. Comment la Russie réussie-t-elle à tirer avantage de la situation ? 

Francis Perrin : Comme tous les pays fortement dépendants du pétrole et des hydrocarbures (pétrole et gaz naturel), la Russie est affectée par la baisse des prix du pétrole, qui est de l’ordre de 20% depuis le 6 janvier de cette année. Une forte réduction des cours a un impact négatif sur ses recettes d’exportation, sur ses recettes budgétaires et sur sa croissance économique. Certes, nous parlons d’une période assez courte, de l’ordre d’un mois, et ces impacts négatifs ne sont donc pas majeurs. Mais c’est d’ores et déjà un sujet de préoccupation à Moscou.

Deux éléments rendent cependant la situation de la Russie moins délicate que celle d’autres pays pétroliers. Bien qu’importante, sa dépendance par rapport à l’or noir est moindre que celle de plusieurs autres pays producteurs. De plus, le prix du pétrole nécessaire pour équilibrer le budget russe est moins élevé que celui requis pour d’autres pays. La Russie est donc vulnérable face à la chute des cours du brut mais moins que d’autres producteurs.

 En 1985, l’URSS avait perdu des sommes colossales d’argent en raison du choix Saoudien d’augmenter considérablement la production de barils (faisant ainsi chuter les prix), ce qui avait précipité sa fin. Serait-ce une forme de revanche de la Russie qui se joue actuellement ? 

L’URSS avait effectivement payé un prix financier et politique très lourd suite à la guerre des prix du brut lancée par l’Arabie Saoudite et ses alliés au sein de l’OPEP au milieu des années 1980. Cette guerre avait fait tomber le cours du pétrole à moins de $10 par baril en juillet 1986 alors qu’il était de l’ordre de $40/b au début des années 1980. Ce fameux ‘’contre-choc pétrolier’’ avait considérablement affaibli l’Union Soviétique alors engagée dans une vaine compétition avec les Etats-Unis de Ronald Reagan dans la décennie 1980.

On ne peut cependant pas vraiment parler de ‘’revanche’’ de la Russie sur l’Arabie Saoudite car les deux Etats coopèrent depuis la fin 2016 en vue de tenter de stabiliser le marché pétrolier mondial. Cette coopération s’inscrit dans le cadre d’un ensemble plus large, qui est la coopération entre l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP, 14 pays membres actuellement) et dix pays non-OPEP dont la Russie, soit 24 Etats. Rappelons par ailleurs que cette coopération est le résultat de l’effondrement des prix du brut entre l’été 2014 et le début 2016 et que le refus de l’Arabie Saoudite et de l’OPEP de réduire leur production en 2014 ou en 2015 avait conduit la Russie et d’autres pays non-OPEP à accepter de diminuer leur production en association avec l’OPEP. La Russie et l’Arabie Saoudite sont respectivement les deuxième et troisième producteurs mondiaux de pétrole après les Etats-Unis.

Quel avenir pour l’Opep si l’organisation de peut plus prendre de décision sans l’aval des pays de l’Opep+ et notamment de la Russie ? 

Il ne faut pas enterrer trop rapidement l’OPEP qui fêtera en 2020 son soixantième anniversaire, ce qui n’est pas rien. Les Etats membres de l’organisation contrôlent plus de 70% des réserves prouvées mondiales de pétrole et représentent environ 35% de la production pétrolière totale. C’est un poids très significatif. Cela dit, l’OPEP et la Russie font face à certains problèmes délicats. L’un des plus importants est la croissance continue de la production pétrolière des Etats-Unis grâce à leurs bruts non-conventionnels. Cette tendance dure depuis plus de dix ans et la progression de la production américaine n’est pas achevée. Or, les Etats-Unis ne sont jamais impliqués dans des discussions visant à limiter leur production. Face à cette montée en puissance de Washington dans le secteur pétrolier, la coopération entre l’OPEP et dix pays non-OPEP (ce que l’on appelle souvent l’OPEP+) est un plus pour l’Arabie Saoudite et pour la Russie.

Cela ne signifie pas que cette coopération soit un long fleuve tranquille. La Russie est souvent réticente lorsqu’il s’agit de réduire sa production et, lorsqu’elle le fait, comme actuellement, cette réduction est assez faible. L’Arabie Saoudite souhaite que les 24 pays producteurs évoqués ci-dessus diminuent rapidement leur production pour enrayer la baisse des prix du brut liée à la lutte contre le coronavirus alors que la Russie fait de la résistance. Ces deux pays producteurs ont des intérêts communs mais aussi des divergences d’opinion. Et l’Arabie Saoudite reste un allié clé des Etats-Unis, ce qui n’est évidemment pas le cas de la Russie.



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